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RENVOYÉ DANS LA GUEULE DU LOUP

Epuisées par l’indifférence de la justice de leur pays face au fléau de la pédophilie, des dizaines de mères françaises vivent aujourd’hui en Suisse avec leur enfant. Si beaucoup d’entre elles ont choisi la clandestinité, Patricia avait déposé une demande d’asile pour elle et son fils il y a quatorze mois. Elle est la première à se faire expulser. Sacrifiée sur l’autel de la diplomatie, elle n’a plus que dix jours pour faire ses bagages.

Demande d’asile rejetée. Le verdict est froid, implacable. L’Office fédéral des réfugiés refuse de protéger plus longtemps Patricia et son fils, arrivés sur sol helvétique le 11 mai 2001. Motif: ils n’ont pas le profil des réfugiés. En effet, seules les personnes étant exposées à de sérieux préjudices en raison de leur race, de leur nationalité, de leur appartenance à un groupe social déterminé ou de leurs opinions politiques peuvent obtenir l’asile. Le canton de Neuchâtel, où Patricia réside, devra les renvoyer avant le 12 juillet prochain. «En fait, si nous venions d’un pays en proie à une guerre civile, nous pourrions rester!» s’insurge Patricia avant de fondre en larmes, épuisée.

Française, Patricia a quitté son pays pour protéger son enfant. Son fils Benoît* était âgé de 4 ans lorsqu’il s’est confié pour la première fois à un médecin, évoquant les abus sexuels dont il était victime de la part de son père, un commerçant adepte de la franc-maçonnerie et bénéficiant d’un précieux réseau d’amis bien placés. La suite de l’histoire ressemble à celle de dizaines de mères françaises arrivées en Suisse ces dernières années: un divorce houleux suivi d’un combat acharné contre un système qui se refuse à les entendre. Elles racontent les pièces à conviction qui disparaissent, les milliers de francs versés à des avocats qui finissent par se désister, les psychiatres qui les disent folles, et la fuite. Aujourd’hui, Patricia accuse la justice bordelaise en particulier et le gouvernement français en général de complicité passive. Elle n’est d’ailleurs pas la seule. Dans l’Hexagone, journalistes, politiques et magistrats sont de plus en plus nombreux à dénoncer l’inertie des autorités dans la lutte contre la pédocriminalité. En Suisse aussi. Doris Cohen-Dumani, chef de la Sécurité publique et de la Police de Lausanne, s’interroge sur l’attitude de notre voisin. Le 14 juillet 2000, la Suisse avait invité des mères françaises à visionner le CD-ROM Ulrich, qui contient 8500 photos de scènes pornographiques avec viols et torture d’enfants, dont 475 portraits d’enfants identifiables. A cette occasion, certaines d’entre elles avaient reconnu leur enfant. «Nous avons dressé des procès-verbaux de cette journée et les avons remis aux autorités françaises. Comment se fait-il que nous n’ayons jamais obtenu de réponse?»

Benoît à l’assistance publique
C’est aussi la question que se pose Patricia, qui avait reconnu Benoît sur plusieurs photos. «Pourquoi personne n’a procédé à une analyse morphologique? Tout cela n’a servi à rien. Absolument rien!» Et dire que cette même Suisse qui, à l’époque, lui offrait la possibilité de prouver les abus dont était victime son fils lui signifie aujourd’hui qu’elle doit déguerpir. «Je ne retournerai pas là-bas, clame Patricia. Je sais très bien ce qui m’y attend.» Certes, le conseiller d’Etat neuchâtelois Bernard Soguel assure que les tribunaux compétents en France sont prêts à rouvrir son dossier, mais Nicolette Rusca, responsable à Berne des questions d’enlèvement international d’enfants, confesse ne pas pouvoir lui promettre qu’elle n’ira pas en prison ni Benoît à la DDASS. En effet, Patricia a perdu non seulement son divorce, mais également la garde de son fils pour avoir refusé de le présenter à son père. Ce qui devrait lui valoir une condamnation pénale. «Nous lui avons proposé de laisser son enfant ici et de rentrer seule afin de régler ses affaires, mais elle a refusé», s’étonne M. Soguel. Comment, sans argent, sans logement, sans famille, sans soutien, Patricia pourrait-elle récupérer la garde de son fils? Peu d’avocats travaillent bénévolement. «Effectivement. Mais nous essayons toujours de privilégier l’intérêt de l’enfant.» Peut-être, mais force est de constater que, de l’autre côté de la frontière, personne n’attend Benoît. Ni son père ni d’ailleurs le reste de sa famille n’ont fait de démarches pour essayer de le rencontrer. Plantée au milieu de la cuisine, Patricia rallume une cigarette. Ses mains tremblent, elle ne comprend plus. «Ce sont des réseaux, il faut le dire! Pourquoi ne m’a-t-on jamais véritablement auditionnée? Pourquoi la Suisse ne fait-elle pas d’enquête?» «Par?ce que ce n’est pas notre rôle, répond Dominique Boillat, à l’Office fédéral des réfugiés. Mais elle peut aller ailleurs dans TUE, en Belgique par exemple…» Au fond, même si personne n’ose le formuler de cette manière, la Suisse ne peut diplomatiquement se permettre de remettre en cause le fonctionnement de la justice française.

Le CIDE impuissant
Au fond, Patricia n’aurait jamais dû demander l’asile à la Suisse. Rien n’est prévu pour protéger les êtres humains de ce type de persécution. Elle aurait dû faire comme beaucoup d’autres mères françaises: entrer dans la clandestinité ou s’inscrire comme demandeuse d’emploi. Orientée vers la procédure d’asile par le CIDE (Comité international pour la dignité de l’enfant), à Lausanne, elle a servi de sonnette d’alarme. Le CIDE, qui se donne notamment pour rôle d’enquêter avec rigueur sur les atteintes à la dignité des enfants à travers le monde et d’en informer le grand public, ne reçoit aucune subvention de Berne, et les dons se font rares. A l’annonce de l’expulsion de Patricia, Georges Glatz, son président, a lâché comme un aveu d’impuissance: «Il faut croire qu’ils ont examiné son dossier.» Effectivement. Le même dossier qui, le 11 mai, lui avait ouvert les portes de notre pays sans que personne ne lui précise qu’elle faisait fausse route. Car la France n’est pas un pays en guerre. Il y a bien un combat qu’elle devrait mener, mais elle n’y semble pas vraiment décidée.

– c. p. ï * Prénom fictif extrait de l’article de l’illustré n°27 du 3 juillet 2002


Photo CIDE avec Interpol, Paris Match, 29 mai 1997